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L’École doit être l’école du peuple

Célestin Freinet (décembre 1943)

Avant d’aborder la partie constructive de ce livre, nous tenons à poser rationnellement et humainement le problème de l’école populaire.
Nous disons bien: populaire. Non seulement pour limiter, afin de mieux l’approfondir, notre sujet spécial, mais pour marquer une étape nouvelle dans l’évolution de l’école.

Avec un retard plus ou moins déplorable dû à l’inertie tenace des institutions dépassées, l’école s’adapte lentement, en tous temps et en tous lieux, au système économique, social et politique qui la domine.[…]

Nous en somme là : un fossé, qui va s’approfondissant chaque jour, sépare de plus en plus la traditionnelle école publique adaptée tant bien que mal à la démocratie capitaliste du début du siècle, et les besoins impérieux d’une classe qui sent la nécessité de former les générations nouvelles à l’image de la société qu’elle entrevoit et dont elle a commencé la majestueuse édification.

Les éducateurs doivent sans plus de retard prendre conscience de cette désadaptation, opérer l’effort de rajeunissent qui s’impose, rejeter les larges chapeaux et les jupes à volants d’une époque qui a fait son temps, se mettre hardiment aux écoutes de la vie nouvelle, s’adapter à cette vie, à son esprit, à ses techniques, à ses obligations ; cesser de bouder l’avenir au nom d’une routine qui n’est plus qu’un frein dangereux à la vie qui monte ; se mettre à la mode. « Chapeau bas devant le passé, bas les vestes pour l’avenir », écrivait il y a vingt ans un pédagogue anglais, Sanderson.

Allons, tombez la veste et venez nous rejoindre au grand chantier de l’école populaire.

C’est à notre groupe d ‘éducateurs d’avant garde rassemblés autour de l’idée-symbole de L’imprimerie à l’école, que devaient revenir la charge et l’honneur de procéder à cette élémentaire adaptation de nos conceptions pédagogiques, de notre matériel et de nos techniques de travail au service de la vie. Depuis trente ans, nous luttons pour faire surgir, du sein même de l’école publique, cette école du peuple dont nous avons minutieusement élaboré les fondements techniques. Nous sommes nombreux déjà à avoir, non seulement en pensée, en théorie, mais aussi en pratique, franchi le fossé. C’est la masse des éducateurs que nous devons aujourd’hui mobiliser pour notre essentiel combat, en préparant soigneusement – pour parler le langage stratégique, hélas courant – les têtes de pont principales, en jetant sur le fossé les passerelles qui permettront aux timides eux-mêmes de rejoindre sans plus tarder le gros des troupes de la nouvelle éducation populaire. Cela dit, nous n’avons pas la prétention de détenir le monopole de cette adaptation, ni de fixer prématurément les formes d’une vie scolaire dont le dynamisme est la grande loi pédagogique. Fiers de notre passé, forts de notre expérience, nous lançons des avant-gardes vigilantes et éclairées. Mais c’est tous ensemble ensuite, éducateurs du peuple, que, parmi le peuple, dans la lutte du peuple, nous réaliserons l’école du peuple.

« L’école moderne française », Ed. du Seuil, 1994, tome II, p.13-15. (La première édition a eu lieu dans « L’Éducation populaire » en 1944, et une seconde aux Éditions Ophrys en 1946. Le texte a été réédité plus tard, sous le titre « Pour l’école du peuple », aux Éditions Maspero, en 1971)

 

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