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Anna Mahé

[note de SL : Nous reproduisons ici l’article d’Anna Mahé tel qu’il fut rédigé par celle ci, en orthographe simplifiée, dans le journal L’Anarchie du jeudi 18 mai 1906.]

Nous ne protesterons jamais assez contre l’absurdité de l’enseignement à l’école laïque. Je parlais dernièrement de la morale. Aujourd’hui la critique de l’instrucsion civique s’impose d’autant qu’elle n’est guère que le dévelopement d’une partie de la morale: la Patrie.
L’instrucsion civique est une science pratique. Ele renseigne exactement l’enfant sur le nombre et la dignité de ceus qui sont ses maitres: sur les émoluments qu’ils touchent. En tête, le Prézident de la République, avec sa liste civile de un milion… et des sous, les ministres, les sénateurs, les députés, les préfets, sous-préfets, maires, etc…etc.
Et l’enfant qui, bien souvent a déjeuné de deus sous de frites, écoute, bouche bée, ces chifres fantastiques, et son cerveau déjà pétri en cerveau d’esclave, s’il sait faire la comparaizon, ne peut qu’admirer… et envier.
Puis, pour éteindre toute véléité de murmure contre ceus qui gouvernent « la douce patrie », il y a le suprême argument: le vote. Rien à dire. Ce sont les jens qui ne boufent pas, qui fabriquent, confecsionent sur mezure les jens qui boufent trop. Ce sont les jens qui travaillent du matin au soir, qui choizissent ceus qui se repozeront de l’aube au crépuscule et du crépuscule à l’aube.
Et comme il faut bien, parfois, mètre en vigueur la métode expérimentale, on vote à l’école. L’école n’est-ele pas le racourci de la société?
Quelques candidats sont choizis et le jeu des petits buletins comence. Sur le pupitre de l’instituteur est l’urne, gardée par un bon petit flic futur, et, devant, il y a le bureau. Chaque gosse passe et dépoze le buletin. Pas d’abstentions, pas de buletins nuls! Le maître connait toutes les écritures.
Il y a le plus souvent balotaje… donc recomencement.
Du reste, le petit jeu est multiple. Toutes les élecsions y passent: municipales, législatives, sénatoriales, prézidencièles.
Cette dernière, surtout, est superbe. A l’ocazion, tout le monde est député ou sénateur. Et le soir, à la maizon, l’enfant, avec importance, tire la jupe de sa mère jusqu’ace que cele-ci s’interrompe dans son travail pour écouter ravie et un peu chatouillée dans son orgueil, la confidence du petit: « Aujourd’hui j’ai été député! »
Je défie n’importe quel cerveau de gosse de sortir indemne de cète avalanche de bétizes.
Cela se fait du moins dans toutes les écoles pariziènes. Ailieurs aussi, sans doute, presque certainement, il serait extraordinaire qu’un jeste idiot fut particulier aus écoles primaires de la capitale. On suit toujours les bons exemples.